Petite histoire de la cuisine italienne

Considérée comme l'une des plus gourmandes au monde, la cuisine italienne a su traverser les frontières et s'imposer sur tous les continents. Mais que savons-nous de son histoire ?


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La Tavola di Cescato vous présente des plats typiques de l’Italie, tels qu’ils sont préparés aujourd’hui. Des recettes de famille, et des recettes d’autres familles, trouvées en musardant sur le web italien.

Mais la cuisine italienne a des racines plus anciennes, qui constituent son héritage et sans lesquelles elle ne serait certainement pas ce qu’elle est à présent.

On devrait d’ailleurs parler de cuisines régionales d’Italie plutôt que de cuisine italienne, pour deux raisons :

  • tout comme en France, la tradition culinaire est liée au terroir : de même que le foie gras du Sud Ouest, la rosette de Lyon, l’aligot du Massif Central ou encore le kouign-​amann typiquement breton se sont exportés au-​delà de leurs régions d’origine et font partie du patrimoine culinaire français, le steak florentin toscan, la sfincione palermitaine, la pizza napolitaine ou le ragù alla bolognese sont autant de plats régionaux qui font la richesse de la cuisine italienne.
  • l’Italie telle que nous la connaissons est une création récente, l’unification date de la seconde moitié du XIXe siècle : auparavant, certaines parties de la péninsule et de ses îles étaient françaises, autrichiennes, espagnoles ou autonomes, comme le Royaume de Sicile, la République de Venise ou le Grand Duché de Toscane. Il y avait un partitionnement linguistique, culturel et politique dont on trouve encore des traces en notre début de XXIe siècle.

Remontons donc le temps, pour découvrir…

La cuisine italienne de l’antiquité à aujourd’hui

Les découvertes archéologiques et les textes nous permettent de tracer les habitudes culinaires dans la République romaine et dans l’Empire romain à partir du IIe siècle avant notre ère, une tradition qui s’est enrichie au fil des siècles.

La cuisine italienne d’aujourd’hui tire en effet ses racines des peuples qui y ont vécu avant que les Italiens ne deviennent les Italiens (mais dont ils descendent, dans une certaine mesure), les Étrusques et les Latins ; des Huns, Ostrogoths, Wisigoths et Francs qui les ont envahit ; des Autrichiens, Espagnols et Français qui les ont gouvernés ; des échanges avec les civilisations grecque, arabe et juive.

Les premières traces écrites que nous ayons sont celles de…

L’art culinaire à l’époque romaine

Si nous n’avons pas trace d’un quelconque traité de cuisine ou à défaut d’une compilation de recettes avant le IVe voire Ve siècle de notre ère, nous connaissons tout de même leurs habitudes culinaires grâce aux récits d’Athénée, de Martial et de Pline, qui citent nombre de pains et de levains, des mets, des plats servis lors de banquets.

Au Ier siècle avant Jésus Christ, le poète Horace mentionne les pâtes, disant qu’un modeste dîner de poireaux, de pois chiches et de laganes’ attend l’homme sans ambition (politique) qu’il est.

Pline lui fait écho en opposant un repas auquel il s’est rendu, à la frugalité toute relative : une laitue, trois escargots, deux œufs, un gâteau de semoule avec du vin miellé, des olives, des betteraves, des concombres, des oignons dans un environnement convivial, à un plus raffiné, avec des huîtres, des vulves de truie, des oursins et des danseuses de Cadès pour divertir les convives, qui a eu la préférence d’une de ses connaissances.

Les pâtes, déjà connues des arabes, des étrusques et des grecs, étaient fabriquées à partir d’épeautre ou de blé et a priori taillées en losange. Mais en l’absence de recette ou de description détaillée, on ne peut reproduire à l’identique. On ne peut que déduire et imaginer, en attendant de trouver, un jour peut-​être, un texte plus explicite.

La légende selon laquelle Marco Polo aurait rapporté les pâtes de Chine est donc bel et bien une légende. D'autant que bien avant qu'il ne vienne au monde, des écrits attestent d'une fabrique de pâtes à Trabia, qui exportait dans tout le monde arabe et chrétien.

On sait des romains qu’ils utilisaient épices et plantes aromatiques, dont le sel, le poivre, l’ail, l’aneth, la coriandre, le laurier et le cumin. Qu’ils consommaient de la viande de porc, de sanglier, de chevreuil, de loir, de pigeon, de poulet, de mouton et de chèvre, mais pas de bœuf.

Il semble selon certaines sources que sa consommation en ait été interdite pendant des siècles, parce que le bœuf était indispensable aux travaux des champs, mais d’autres sources avancent un argument plus trivial, arguant que les romains n’appréciaient tout simplement pas cette viande trop forte pour eux.

Les viandes étaient préparées en sauce ou bouillies puis rôties, du moins dans les classes aisées.

Les classes plus modestes se nourrissaient de pain plébéien, de céréales, de légumes et de légumineuses : amidonnier, épeautre, blé, carottes, choux, oignons, navets, radis, concombres, fèves, lentilles, pois…

On trouve aussi des références à des desserts et à des fromages, dont certains parfumés avec des plantes aromatiques.

On retrouve également dans les descriptions de plats consommés par les romains le garum, une sauce à base de thon rouge ou de petits poissons, certainement des anchois, macérant dans le sel. Cette sauce est probablement l’ancêtre de la colatura di alici de Cetara et du pissalat niçois. Si elle était utilisée pour relever les mets salés et sucrés, elle servait également à masquer le goût des aliments avariés consommés dans l’antiquité – les notions d’hygiène sont récentes, elles datent d’à peine deux siècles pour la plupart.

Un livre de cuisine nous est quand même parvenu des ces temps anciens : De re coquinaria attribué à Apicius, une compilation de près de 500 recettes, mais il date du IVe ou du Ve siècle de notre ère et n’est pas vraiment exploitable, à cause de références à des condiments utilisés, dont les recettes se sont perdues, et à cause des erreurs de copistes.

À en croire cet ouvrage, le garum était utilisé pour la fabrication du boudin par exemple, et jusque dans les compotes de poires, de coings et d’abricots.

On y trouve la toute première recette de lasagnes, sous le nom de tarte d’Apicius, avec des laganes disposées entre des couches de viande ou de poisson.

La cuisine italienne du Moyen-​Âge à la Renaissance

Plus proche de nous, au Moyen-​Âge, on trouve davantage de références sur les lasagnes et différentes variétés de pâtes, l’usage du lard et de l’huile d’olive, les épices, les légumes, principalement dans le Liber de coquina (Livre de cuisine), un traité de cuisine et de diététique, rédigé en latin, à la cour de Naples, au tout début de XIVe siècle. C’est un recueil des meilleures recettes des cours princières et royales françaises et napolitaines, certaines tirant leur origine de la cuisine espagnole, arabe ou d’autres régions de l’Italie actuelle.

Voici la recette des lasagnes qu’on y trouve, traduite en français :

Lasagnes : pour faire des lasagnes, prenez des pâtes fermentées et rendez-​les aussi fines que possible. Ensuite, divisez-​les en parties carrées de trois doigts de large. Ensuite, sortez de l’eau bouillante salée et faites cuire les lasagnes indiquées. Et quand elles sont cuites versez du fromage râpé.

Liber de coquina, livre III – depuis Wikipedia

On remarquera – au-​delà de la description concise du plat – que l’auteur parle de pâtes fermentées. Je ne sais ni pourquoi ni comment, je n’ai pas trouvé d’autre référence aux pâtes fermentées ni au mode de préparation des pâtes en ces temps reculés, mais ce qui est certain, c’est que même la recette des pâtes, pourtant d’une simplicité déconcertante, a évolué au fil des siècles.

On trouve dans ce même ouvrage un paragraphe pour la préparation des pois chiches, qui globalement n’a pas varié – si ce n’est que l’on n’utilise plus la lessive de soude mais du bicarbonate pour les faire tremper.

Le premier livre de recettes imprimé paraît vers 1475 : De honesta voluptate et valitudine (Du plaisir honnête et de la bonne santé) de Bartolomeo Sacchi. Il est inspiré des recettes de son ami Maestro Martino, auteur du livre De Arte Coquinaria (de l’art de la cuisine) et cuisinier réputé dans l’Italie du Moyen-​Âge, qui cherche à s’affranchir des traditions culinaires de son époque – dont l’abus d’aromates qui masquent la saveur originale des aliments.

Et c’est un autre Bartolomeo, Bartolomeo Scappi, chef cuisinier des papes Pie IV et Pie V, qui inspirera les plus célèbres cuisiniers d’Europe à peine un siècle plus tard, en 1570, avec son œuvre en six livres : Opera dell’arte del cucinare (Ouvrage sur l’Art de cuisiner), qui sera reproduite, traduite, copiée, plagiée, ou simplement source d’inspiration, tant en Espagne qu’en Allemagne ou qu’en Belgique.

À la lecture des recettes de ces chefs, on constate que la viande est toujours préparée avec un mélange d’épices et d’ingrédients sucrés, comme la cannelle, les prunes, les raisins secs, l’ail et les pignons de pin. Ceci-​dit, on met toujours de l’écorce d’orange, de la cannelle et du gingembre dans la daube provençale, des pruneaux, et un voire deux carrés de chocolat (noir, à 70% de cacao a minima) dans la daube gasconne.

Petite digression en aparté, inspirée par les titres de trois livres précités : cuisine (en français) et cucina (en italien) viennent tous deux du latin coquina en passant par cocina en bas latin. Coquin aussi, semble-t-il, mais sans certitude.

Ces sont souvent des événements fortuits qui produisent les plus grands changements. L’alimentation ne coupe pas à cette règle : la famine de 1630 à Naples va définitivement faire entrer les pâtes dans la cuisine italienne populaire.

Les napolitains, puis tous les Italiens seront affublés du sobriquet de mangiamaccheroni (mangeurs de macaroni). Les émigrés italiens après la Seconde Guerre Mondiale étaient, eux aussi, en France, traités de macaroni en raison de leurs habitudes culinaires.

La cuisine de la tomate – rapportée du Nouveau Monde – et la pizza telle que nous la connaissons, apparaissent à cette même époque et sont mentionnées dans des textes datant de la fin du XVIIe siècle.

Une autre spécialité italienne les a précédés, qui ravit encore le palais des plus gourmands : la crème glacée. Bien que les sorbets aient été connus depuis Néron qui appréciait à la folie un mélange de vin, de miel et de glace, il est fort possible que leur fabrication et leur recette se soient perdus au fil des siècles – pour revenir sur le devant de la scène au XVe siècle, et pour y rester depuis.

Ces innovations et ces évolutions sont le point de départ de la cuisine italienne telle que nous la connaissons, même si, à n’en pas douter, elle a considérablement évolué depuis, bien que l’on trouve encore certains plats, tels que le macco di fave sicilien, préparés depuis l’antiquité.

Et on arrive logiquement à…

La cuisine italienne moderne

Héritière des siècles passés, riche d’une histoire au moins deux fois millénaire et d’apports divers, la cuisine italienne actuelle a émergé au XIXe siècle, avec l’unification de l’Italie.

Comme partout ailleurs, ce sont souvent les plats des pauvres, préparés avec très peu d’ingrédients, et surtout des produits locaux, qui constituent l’essentiel de cette tradition culinaire gourmande.

Tradition qui a intégré au fil du temps des produits d’origine étrangère, américaine pour l’essentiel (haricots, tomates, piments, poivrons, pommes de terre et maïs) mais aussi arabe (pâtes, aubergines et confiseries), à tel point qu’ils sont à présent indispensables et indissociables de la cuisine italienne.

Pellegrino Artusi publie à compte d’auteur le premier livre de cuisine moderne, La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene (La Science en cuisine et l’art de bien manger), avec une volonté marquée de faire connaître la cuisine des régions et de créer une culture culinaire nationale, suite à l’unification de l’Italie quelques années auparavant. Ce livre de 790 recettes connaîtra 15 éditions de 1891 à 1911, les contributions des lecteurs enrichissant chaque réédition. Cet ouvrage est encore aujourd’hui régulièrement réédité, dans sa version de 1911, année de la mort de son auteur.

L’année 1929 voit naître la revue La cucina italiana, une référence de la cuisine italienne moderne, toujours publiée. Son site internet est actif et propose des recettes d’antipasti, de plats (premiers et seconds plats, à la mode italienne), des accompagnements, des sauces, des desserts, des plats uniques, des boissons… le tout relativement bien expliqué, et avec de magnifiques photographies – de quoi mettre l’eau à la bouche de l’ermite le plus austère.

site "La cucina italiana"
site « La cucina italiana »

L’académie de cuisine italienne, fondée en 1953, recense quant à elle plus de 1000 recettes traditionnelles. Les explications sur le site sont plutôt succinctes, les recettes ne sont pas illustrées, les ingrédients retenus ne sont pas toujours les plus pertinents, mais elle a le mérite d’exister.

Parmi les plus connus des plats italiens, on trouve bien évidemment la pizza, mais aussi la polenta, les gnocchis, les lasagnes, les pâtes à la bolognaise, le risotto, la salade caprese, sans oublier pour autant des créations plus récentes telles que les pâtes à la carbonara et le tiramisu… mais réduire la cuisine italienne aux plats qui ont traversé les frontières serait par trop réducteur, et pour chaque plat connu, il y a souvent une infinité de variantes.

Je ne parle pas des expérimentations que vous pouvez faire au quotidien, même si elles ont autant d’intérêt que les recettes classiques (et elles sont sûrement tout aussi délicieuses), mais des variations éprouvées autour d’une même base.

Tenez, par exemple, avez-​vous déjà entendu parler des gnocchis à la farine de châtaignes, du pane cunzato ou de la pinsa romaine ? Ce sont ces recettes tout autant que d’autres plus classiques que nous vous proposons de découvrir sur ce site.

Les ingrédients de base de la cuisine italienne moderne

Quand on pense cuisine italienne, on pense forcément parmesan, huile d’olive, anchois, pâtes fraîches, tomates, mozzarella, origan et basilic – des ingrédients que l’on retrouve pour la plupart dans la cuisine méditerranéenne en général et de la cuisine niçoise en particulier (mais n’oublions pas que Nice, avant d’être définitivement rattachée à la France, était italienne).

Bien heureusement pour les italiens – et pour nous – ce ne sont pas les seuls ingrédients communément utilisés – mais le poisson et les viandes de veau, d’agneau, de bœuf, de porc sont également utilisées partout dans le monde, de même que le riz, les olives, les oignons, les fèves, la tomate, les courgettes, ou les herbes aromatiques.

D’autant qu’à l’instar de la France, l’Italie produit d’excellents fromages tels que le gorgonzola, la ricotta, le pecorino, le cacciocavallo, qui valent nos Roquefort, camembert ou tommes ; des charcuteries dont nous autres Français raffolons : jambon de Parme, Bresaola, pancetta et coppa ; et des vins aussi fameux que les vins français : le Chianti, le Bardolino, le Prosecco, l’Asti Spumante sont aussi connus et appréciés à l’international que nos Champagne, vins de Bordeaux ou de Bourgogne.

Mais ce qui fait la spécificité des plats traditionnels dans la cuisine italienne, ou mexicaine, ou provençale, ou française… c’est l’assemblage, la préparation, la cuisson (les pâtes al dente par exemple), l’assaisonnement, les produits régionaux que vous ne trouverez que sur place (ou, dans le meilleur des cas, dans quelque épicerie italienne)… autant de paramètres qui rendent chaque plat unique.

La Salade d’Albèse pour ne citer qu’elle, ressemble étrangement à notre steak tartare, mais avec de la viande de veau et du citron, et sans les sauces ni le jaune d’œuf, ni même les câpres – les saveurs ne sont pas les mêmes, mais il y a comme un air de famille…

Et demain ?

Même les recettes pourtant « récentes » (à peine une centaine d’années) que nous évoquions à l’instant ont évolué ou se sont adaptées, pour des raisons matérielles le plus souvent, parce que les ingrédients nécessaires à l’élaboration de la recette originales n’étaient pas disponibles sur place (les spaghetti alla bolognese par exemple nous viennent des États-​Unis, les spaghetti faits de farine de blé dur étant plus faciles à trouver sur place que les tagliatelles aux œufs, plus fragiles, difficiles à importer), ou n’étaient plus disponibles. Certaines recettes ont été revisitées par des grands chefs qui leur ont donné une deuxième vie, d’autres ont subi un « ratage » qui n’était pas si raté que ça, finalement…

Et si la cuisine italienne actuelle n’a plus grand chose en commun avec celle dont elle vient, elle n’en est pas moins authentique et savoureuse, et il y a fort à parier que cette évolution ne s’arrêtera pas.

Les expérimentations dont nous parlions, la découverte de nouveaux assemblages, la diversification des ressources ou au contraire une volonté de revenir aux produits du terroir influenceront la cuisine italienne de demain. Préparera-​t-​on toujours des gnocchis ou des pizzas napolitaines dans 10, 20, 30 ans ? Se souviendra-​t-​on du tiramisu ou du sabayon dans un siècle ? Allez savoir…

Mais c’est une autre histoire, et si c’est bien nous qui l’écrivons aujourd’hui, ce n’est pas l’histoire d’un jour mais celle d’une, voire de plusieurs générations.

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