Il caffè sospeso – le bonheur à la napolitaine

Un Napolitain heureux fait le bonheur des autres… en offrant un caffè sospeso - un café suspendu, à un parfait inconnu. Un café, une pizza, un panini, peu importe, c'est surtout le geste qui compte.


Cet article prend 4 minutes à lire et comporte 971 mots.

Le 10 décembre, depuis 1950, c’est la journée des droits de l’homme, en souvenir du jour où, en 1948, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Mais à Naples, tous les ans, c’est aussi la Giornata del Caffè Sospeso, la journée du café suspendu, instaurée par le maire de Naples, Luigi de Magistris, en 2011.

Mais le caffè sospeso, ou café suspendu, c’est quoi exactement ?

La tradition du caffè sospeso

C’est une tradition napolitaine, qui selon certains serait née dans l’un des établissements les plus réputés de la ville, le Gran Caffè Gambrinus, au milieu du XXe siècle. Mais d’autres sources la font remonter aux années 1900. Et l’établissement lui-​même la fait remonter à 1860.

Détail de la cafetière ou sont déposés les tickets suspendus - Gran Caffè Gambrinus
Détail de la cafetière ou sont déposés les tickets suspendus au Gran Caffè Gambrinus – Bex Walton

L’habitude se serait perdue entre les deux guerres, mais aurait connu un nouvel élan dès les années 50 avant de s’essouffler avec la mondialisation.

Toujours est-​il que tous s’accordent sur l’origine sociale de ce geste : d’après certains, au moment de payer les cafés, dans le désordre engendré par la volonté de chacun à vouloir payer, il arrivait que des cafés soient payés alors qu’ils n’avaient pas été consommés. Plutôt que d’en demander le remboursement, on pris l’habitude de le suspendre, autrement dit de le mettre à disposition d’une personne dans le besoin.

Selon d’autres, il s’agirait juste d’un geste envers plus nécessiteux que soi, pour faire partager son bonheur.

D’ailleurs, c’est sous cette forme qu’elle a été reprise au lendemain de la seconde guerre mondiale, quand on prit l’habitude de payer un second café en demandant un caffè sospeso, ou o’suspiso en patois napolitain, à consommer plus tard, pour un inconnu, lorsqu’on était heureux pour une raison ou une autre.

Quand quelqu’un est heureux à Naples, il paie deux cafés : un pour lui et un autre pour quelqu’un d’autre. C’est comme offrir du café au reste du monde.

Luciano De Crescenzo

D’où vient exactement l’expression ? Du fait que le café était en attente, suspendu dans le temps, ou du fait que la note correspondante était suspendue à un clou en attendant que le café soit effectivement consommé ? Probablement du fait que les notes étaient suspendues au comptoir… Quoi qu’il en soit, la tradition reste belle et triste à la fois.

Belle, parce que c’est un geste généreux. Triste, parce que s’il n’y avait pas de misère, cette tradition n’aurait certainement pas vu le jour.

Luciano De Crescenzo a rassemblé des anecdotes, des coupures de journaux, des réflexions sur le caffè sospeso, dans un livre intitulé Il caffè sospeso : Saggezza quotidiana in piccoli sorsi (que l’on traduit par Le café suspendu. La sagesse quotidienne à petites gorgées). Il n’existe par contre pas de traduction en langue française.

Une tradition toujours d’actualité ?

Le mouvement semble s’essouffler à Naples, alors même que le caffè sospeso ou café suspendu traverse les frontières, s’expatriant en France, en Bulgarie, en Espagne… et traversant même mers et océans pour arriver en Argentine, en Irlande et au Canada, sous sa forme originale ou en adaptation locale, telle la baguette ou la soupe suspendues en France, la pizza à Naples ou l’empanada suspendue (empanada pendiente) en Argentine.

Mais si la tradition s’essouffle quelque peu sous sa forme originelle, elle reste très présente dans ses adaptations telles que la pizza ou le panini suspendus, et il y a fort à parier qu’elle est plus présente dans des quartiers populaires que dans le centre historique où les touristes se massent et obligent en quelque sorte à changer de mode de vie. Fini le linge aux fenêtres par exemple, alors que c’était une tradition plus ancienne encore dans la ville.

linge aux fenêtres - Naples
linge aux fenêtres – Naples [ Roberto Petillo from Napoli, Italia, CC BY-​SA 2.0 ]

Et même si elle est moins présente, on trouve toujours l’inscription « caffè sospeso » dans les bars qui proposent ce service – à Naples bien sûr, mais aussi à Palerme, à Rome, à Turin ou à Milan – bref, dans toute l’Italie.

Comment se boit le café à Naples ?

C’est encore une tradition napolitaine, le café est habituellement servi court, c’est ce qu’on appelle caffè corto ou ristretto, et se boit d’un trait, sans traîner, au comptoir, avec tous ceux qui prennent leur café au même moment que vous. Que ce soit vous qui le payiez ou un inconnu qui l’ait payé, c’est le même café… et la même façon de le boire.

Qui profite du caffè sospeso ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le caffè sospeso et ses adaptations ne sont pas réservés aux SDF. Une personne dans le besoin, une famille pauvre peuvent en bénéficier.

Certaines pizzerias de Naples portent d’ailleurs leurs pizzas suspendues à domicile, pour éviter que la personne qui en demande une ne se sente gênée à venir la prendre devant d’autres clients. Attention délicate s’il en est.

Où offrir un café ou un plat suspendu près de chez vous ?

En faisant une recherche rapide sur Facebook (on pourrait penser que les réseaux sociaux sont parfois réellement sociaux), on trouve trois groupes, mais la publication la plus récente date de 2017. Il semblerait qu’il y ait des initiatives locales, ouvrez l’œil, un restaurateur, un coiffeur, un boulanger propose peut être un plat ou un service suspendu près de chez vous…

Si vous en avez connaissance, n’hésitez pas à partager en commentaire, ce caffè sospeso à la française fera sûrement le bonheur d’une personne moins bien nantie que vous – et entre nous, nul besoin d’être riche pour offrir un café, un sourire, ou même un peu de son temps aux autres.

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Retour en haut